Agriculture urbaine : une aubaine pour notre filière ?
Alors que les villes se font toujours plus denses, de nombreux élus veulent verdir leur cité, quitte à les transformer en zones maraîchères. Cette tendance n'est pas sans conséquences sur l'offre végétale à apporter à ces décideurs avant-gardistes...
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
C'est la grande affaire du moment. Le sujet devenu incontournable dans les colloques et les congrès. La thématique de nombreux rendez-vous grand public, comme récemment Jardins, Jardin aux Tuileries, ou, à certains égards, l'Exposition universelle de Milan, en Italie (lire l'encadré en p. 13). L'agriculture urbaine est dans l'air du temps et intéresse les professionnels de notre filière. Pour le paysage, il s'agit de trouver de nouveaux débouchés dans une période de forte incertitude. Pour la production, la tendance invite à se reposer la question du rapport « ornement-vivrier ».
Une volonté de savoir ce que l'on produit et ce que l'on consomme
De plus en plus urbaines, nos sociétés peinent à assouvir leurs besoins de nature. Il faut dire qu'au sol, il n'est pas très facile d'installer des jardins : entre les immeubles destinés aux logements, aux bureaux et aux commerces, et les surfaces consacrées à la circulation et la mobilité en général, les espaces capables de proposer du vert aux citadins sont toujours plus réduits. Pendant longtemps, la réponse à ce problème a été d'étaler la ville de manière à donner à chacun davantage de place pour respirer. Mais il faut désormais modérer nos appétits : les terres deviennent rares et vont devenir encore plus nécessaires pour nourrir une population en augmentation constante. Pour placer du vert dans un espace ainsi contraint, les concepteurs exploitent souvent des endroits délaissés comme les murs et les toits des immeubles...
Dans le même temps, les urbains, choqués par les crises alimentaires et curieux de connaître le parcours des légumes qu'ils consomment, tentent de se réapproprier certaines productions vivrières, essentiellement le verger et le potager, et essayent de réimplanter des espaces de production à proximité de leur logement. La croisée de ces deux phénomènes aboutit à la mode de l'agriculture urbaine que l'on connaît actuellement, et qui se traduit, entre autres, par une augmentation des ventes de plants de légumes dans les jardineries au printemps, des plants qui ne sont plus toujours destinés à un potager classique comme celui de nos ascendants, mais vont pouvoir être plantés dans des bacs ou des jardinières, parfois dans de simples sacs en plastique, sur des balcons, des terrasses ou des appuis de fenêtres.
L'horticulture ornementale doit-elle se tourner vers le maraîchage ?
Beaucoup d'urbanistes poussent cette mode, avec en tête une obsession : faire de la ville un espace plus résilient, capable de s'autosuffire davantage. En effet, si les zones de production de légumes n'ont pas attendu le XXIe siècle pour s'éloigner des centres urbains, l'étalement des villes et le faible coût de l'énergie ont accéléré l'éloignement des uns et des autres. Cette organisation semble avoir vécu, sous la poussée de la demande sociale, qui privilégie un peu plus le produit local, et pour éviter l'hyperconcentration de zones de production éloignées qui génèrent des besoins de transport désormais montrés du doigt. Mais les concepteurs y voient d'autres réponses aux attentes sociales actuelles : plus de convivialité et de rapports sociaux, par exemple. Par contre, concernant la ville autosuffisante, personne ne l'imagine vraiment sérieusement, comme l'ont expliqué les intervenants de la table ronde de la ville de Paris du 2 juin dernier (lire en p. 15). À la rigueur, cette perspective pourrait avoir un sens dans certaines villes pauvres.
La filière ornementale ne s'intéresse, pour l'instant, qu'indirectement à cette tendance, se contentant d'alimenter les besoins grandissants des particuliers en plants potagers. Pourquoi se pencher sur un secteur qui revient plus aux maraîchers qu'aux producteurs de plantes à massif ? Le phénomène d'agriculture urbaine sera-t-il fort au point d'imposer à certains producteurs ornementaux de revenir vers des cultures vivrières qu'ils ont abandonnées dès les années 1960-1970, quand la mutation inverse s'est produite ? Quand les écoles d'horticulture se sont vidées de leurs élèves se destinant aux cultures légumières au profit des métiers de l'ornemental et du paysage ? C'est à surveiller. Les intervenants de certaines des conférences qui ont eu lieu récemment ont plutôt évoqué une volonté de verdir la ville dans sa globalité, en donnant certes de la place à la production vivrière, mais sans baisser la garde sur la nécessité de donner aussi une place accrue aux espaces verts ornementaux. Il faut cependant garder en tête que l'espace urbain reste compté, et qu'il faudra faire des choix ! En attendant, les consommateurs augmentent leurs achats de plants de légume, alors que les végétaux d'ornement marquent le pas...
Un feu de paille ? Il n'y a pas de signes en ce sens aujourd'hui !
Si la tendance perdure et s'affirme, la profession dispose aujourd'hui des armes pour répondre à ce marché... À moins que ce ne soit qu'un feu de paille ? Que les particuliers soient rapidement découragés par la tâche que représente la culture des légumes, par les mauvais étés qui réduisent vite à néant des heures de travail (comme en 2014), par des plantations trop précoces (les jardineries proposent des plants de légume dès les premiers beaux jours de mars ou d'avril, avec les risques de gel encore nombreux dans la plupart des régions de France) ? C'est loin d'être exclu. Mais aucun signe en ce sens n'émane du marché pour l'instant.
Quoi qu'il en soit, cette nouvelle attente de la société se traduit par plusieurs tendances. La première, la demande de plants de qualité, bio si possible, de plus en plus greffés, pour rassurer le consommateur et éviter les désillusions qui pourraient, à terme, le décourager. Autre attente, la diversité. Parce que la biodiversité est une valeur montante, mais aussi parce que les émissions de télévision sur la cuisine, toujours plus nombreuses et qui influencent fortement le marché, montrent que la tomate n'est pas qu'une tomate, mais qu'elle peut être un légume rouge, jaune ou noir, qu'une courgette peut être ronde ou allongée, qu'une aubergine peut avoir la peau blanche. Le grand public et les jeunes urbains découvrent souvent toutes ces facettes. Plutôt que de continuer à y répondre sans le savoir, la filière a aujourd'hui intérêt à suivre le phénomène de mode qu'est l'agriculture urbaine. Cela lui permettra de satisfaire plus précisément un marché dont les codes vont inévitablement évoluer dans le temps. La bonne nouvelle, c'est que les évolutions des pratiques de ces dernières années, comme le label Plante Bleue ou la diversification de gammes, lui ont donné l'essentiel des atouts pour y obtenir de bons résultats. Autant en profiter !
Pascal Fayolle
Au pied d'immeubles densément peuplés, des jardins partagés permettent aux familles de produire des légumes... et de se rencontrer.
La bataille pour l'espace : tel sera le credo demain pour installer des parcelles de production dans des villes plus denses. Au détriment des espaces ornementaux ? Il faut veiller à ce que cela ne soit pas le cas !
Pour accéder à l'ensembles nos offres :